En ce mois de mai 2025, l’Assemblée nationale de la République Démocratique du Congo est saisie d’une proposition de loi inédite, présentée par le député national Ron Roger Etienne Bimwala, visant à établir un cadre normatif unifié pour la protection des informations sensibles liées à la défense nationale et à la sécurité publique.
Pourquoi une telle loi ?
Jusqu’à présent, la RDC ne disposait d’aucun système juridique cohérent pour classer, déclasser et protéger les informations dites de « secret-défense ». Pourtant, dans un contexte marqué par des agressions persistantes et des menaces multiformes, la protection rigoureuse des données sensibles s’impose comme une nécessité.
Quelles innovations ?
Cette proposition de loi introduit plusieurs innovations majeures :
- Une classification hiérarchisée en trois niveaux :
- Confidentiel : informations dont la divulgation non autorisée pourrait nuire au fonctionnement des institutions, à l’ordre public ou à la stabilité économique.
- Secret Défense : informations dont la divulgation pourrait compromettre gravement la défense nationale, la sécurité de l’État ou les intérêts stratégiques.
- Top Secret Défense : informations dont la divulgation pourrait causer un préjudice exceptionnellement grave à la souveraineté nationale et à l’intégrité des institutions.
- Un système strict d’accréditation, contrôlé par le Conseil National de Sécurité (CNS), fondé sur des critères de moralité, de loyauté et de compétence.
- Le principe du « besoin d’en connaître » : l’accès à l’information classifiée est limité aux seules personnes pour qui elle est strictement nécessaire dans l’exercice de leurs fonctions.
Durée et déclassification
Chaque niveau de classification a une durée déterminée :
- 10 ans pour le Confidentiel,
- 20 ans pour le Secret Défense,
- 30 ans pour le Top Secret Défense.
À l’issue de ces délais, l’information est automatiquement soumise à une réévaluation ou à une déclassification.
Sanctions prévues
Les violations sont sévèrement sanctionnées, allant du blâme administratif à la servitude pénale à perpétuité pour les divulgations de documents Top Secret Défense. La loi précise qu’aucun abus de classification ne sera toléré, notamment pour masquer des violations des droits humains, des actes de corruption ou des irrégularités électorales.
Garanties et transparence
Le texte garantit un équilibre entre les impératifs de sécurité nationale et le respect des droits fondamentaux. Il prévoit un accès exceptionnel, encadré, à certains documents classifiés dans le cadre judiciaire afin de garantir le droit à un procès équitable.
Les dérives à éviter si la loi est votée :
Le Congo-Kinshasa étant une démocratie en chantier, la société civile et les spécialistes doivent être regardants sur les abus éventuels que nous résumons en 7 points.
- Abus de classification : Interdiction de classer des informations dans le but de dissimuler des violations des droits humains ou du droit international humanitaire (torture, exécutions extrajudiciaires, violences sexuelles, disparitions forcées…).
- Obstruction à la justice : Il est interdit de classer des informations pour empêcher la révélation ou la poursuite d’un crime ou d’un délit, ou restreindre illégalement le droit à un procès équitable et à la défense.
- Manipulation électorale : Toute classification visant à cacher des irrégularités électorales est prohibée (fraudes dans l’enrôlement, gestion du fichier électoral, dépouillement, transmission ou proclamation des résultats).
- Corruption et crimes économiques : La loi proscrit l’utilisation de la classification pour couvrir des actes de corruption, de détournement de fonds publics ou de pillage des ressources naturelles.
- Censure et rétention d’informations d’intérêt public : Interdiction de classer des données environnementales, sanitaires ou humanitaires qui pourraient menacer la vie, la santé ou la sécurité de la population.
- Éviction du contrôle parlementaire : La classification ne peut pas être utilisée pour soustraire un traité ou accord international au contrôle du Parlement ou à l’examen citoyen (sauf phase de négociation pour des raisons impératives de sécurité, mais cette classification tombe dès la signature).
- Atteintes aux droits fondamentaux : Même en cas d’état d’urgence ou de siège, certains droits protégés par l’article 61 de la Constitution demeurent intangibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune dérogation.
Pour approfondir votre compréhension du cadre légal des médias en RDC, voici trois ouvrages :
- « La régulation des médias en République Démocratique du Congo : Enjeux et défis contemporains » par Charles Mushizi (2022)
Charles Mushizi, juriste et expert en droit de la presse, explore les mécanismes de régulation des médias en RDC. Il met en évidence les rôles et limites des institutions telles que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) et examine les enjeux de la régulation à l’ère numérique. - « Droit congolais de la régulation des médias » par Trésor Likonza (2024)
Ce livre offre une analyse détaillée de l’évolution du paysage médiatique en RDC, en se concentrant sur les aspects juridiques de la régulation des médias. Il examine les lois en vigueur et propose des perspectives pour une meilleure gouvernance médiatique. - « Cadre légal des médias en RDC : Acquis et défis en perspective » par Patient Ligodi (2024)
Cet ouvrage analyse l’Ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023, qui redéfinit le paysage médiatique congolais. Il met en lumière les avancées législatives et les défis persistants pour la liberté de la presse en RDC