Le 5 mai 2025, le député national Ron Roger Étienne Bimwala, élu de Kinshasa-Lukunga, a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi relative à la classification et à la déclassification des informations sensibles. Cette proposition vise à encadrer juridiquement la manière dont l’État congolais gère les informations stratégiques, dans un contexte marqué par l’instabilité sécuritaire, la manipulation de l’information et les menaces hybrides.
Objectif de la proposition
La proposition vise à doter la RDC d’un cadre légal clair et cohérent pour :
- Classifier les informations sensibles selon leur degré de risque,
- Réglementer l’accès à ces informations,
- Organiser leur déclassification,
- Sanctionner les atteintes à la sécurité de ces données.
Trois piliers fondamentaux du dispositif proposé
1. Classification hiérarchisée des informations sensibles
La proposition introduit une classification à trois niveaux, selon la sensibilité et les conséquences potentielles en cas de divulgation :
- Confidentiel
- Secret Défense
- Top Secret Défense
2. Accès conditionné à une accréditation
L’accès aux informations classifiées est réservé aux personnes accréditées. Cette accréditation est fondée sur :
- L’intégrité de la personne concernée,
- Sa loyauté envers l’État,
- Sa compétence professionnelle.
Le critère appliqué est celui du « besoin d’en connaître ».
3. Régime de sanctions en cas de fuite ou de trahison
La proposition prévoit un dispositif de sanctions graduées :
- Sanctions administratives pour les manquements ordinaires,
- Servitude pénale à perpétuité en cas de trahison ou de divulgation délibérée d’informations classées « Top Secret Défense ».
Informations exclues de la classification
Le texte interdit explicitement de classer des informations dans les cas suivants :
- Pour dissimuler des violations des droits humains,
- Pour entraver l’action de la justice,
- Pour couvrir des crimes économiques,
- Pour bloquer l’accès à des données environnementales, sanitaires ou électorales d’intérêt public.
Garanties prévues par la proposition
- Droit à un procès équitable : une exception judiciaire encadrée est prévue pour garantir l’accès à l’information en contexte de procédure judiciaire.
- Équilibre entre sécurité et transparence : la proposition affirme qu’il s’agit de protéger sans censurer.
Assise constitutionnelle invoquée
Le texte s’appuie sur plusieurs articles de la Constitution de la RDC :
- Article 24 : garantit le droit à l’information, tout en autorisant la loi à en fixer les limites pour des raisons de sécurité nationale.
- Article 122 (1 et 4) : habilite le législateur à encadrer les libertés publiques et à imposer des obligations liées à la défense nationale.
- Article 61 : consacre les droits fondamentaux intangibles, même en période d’état d’urgence ou de siège.
- Articles 56 et 57 : interdisent toute classification destinée à couvrir des pratiques illicites comme le pillage ou les crimes économiques.
Ce qu’il faut retenir de la situation du droit d’accès à l’information en RDC
La proposition de loi du député Ron Roger Étienne Bimwala vise à encadrer la gestion des informations sensibles en RDC en instaurant un cadre juridique structuré, des niveaux de confidentialité hiérarchisés, des conditions strictes d’accès et des sanctions proportionnées. Elle entend répondre aux impératifs de sécurité nationale dans un contexte de menaces multiples, tout en posant des limites claires pour prévenir les abus.
De son côté, le droit d’accès à l’information est reconnu par l’article 24 de la Constitution comme un droit fondamental. Il garantit la participation citoyenne, le contrôle de la gestion publique et la transparence. Pourtant, son application reste limitée : absence de loi d’application, culture administrative opaque, mécanismes de transparence faibles. Une proposition de loi adoptée par le Sénat en 2015 est toujours bloquée à l’Assemblée. Une nouvelle version, déposée en 2024, n’a pas encore été examinée. Par ailleurs, l’Ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023 garantit l’accès aux informations publiques, mais uniquement pour les journalistes, excluant les autres citoyens. Le faible accès à Internet, particulièrement en milieu rural, accentue encore les inégalités.
L’accès à l’information demeure pourtant essentiel pour lutter contre la corruption, favoriser la participation citoyenne et renforcer la redevabilité. La RDC est engagée dans des initiatives internationales comme l’ITIE, mais leur mise en œuvre reste partielle. Des efforts existent — ateliers de sensibilisation, programme gouvernemental 2024–2028 — mais restent insuffisants. Il est donc urgent d’adopter une loi générale sur l’accès à l’information, de créer une autorité indépendante chargée de sa mise en œuvre, de former les agents publics et d’améliorer l’accès numérique.
Bien qu’elle ne garantisse pas directement le droit d’accès à l’information, la proposition Bimwala a l’ambition d’en préciser les limites légitimes dans un cadre sécuritaire. En définissant trois niveaux de classification (confidentiel, secret défense, Top secret défense), elle permet de distinguer ce qui doit être protégé au nom de la souveraineté de ce qui ne peut l’être. Le texte interdit explicitement la classification d’informations visant à dissimuler des violations des droits humains, des crimes économiques, des irrégularités électorales ou des atteintes à la santé et à l’environnement. Il prévoit aussi une exception judiciaire encadrée pour préserver le droit à un procès équitable. Ce dispositif, sans se substituer à une loi sur l’accès à l’information, peut servir de base complémentaire en fixant les frontières du secret d’État et en renforçant les garanties de transparence.
Mais suffira-t-il à instaurer un véritable équilibre entre sécurité nationale et démocratie ? Sera-t-il respecté ou instrumentalisé ? Quelle articulation avec une future loi sur l’accès à l’information publique ? Et surtout, l’État congolais est-il prêt à accompagner ce cadre juridique d’une culture administrative plus ouverte et d’une volonté politique réelle de rendre des comptes ?
Pour approfondir votre compréhension du cadre légal des médias en RDC, voici trois ouvrages essentiels :
- « La régulation des médias en République Démocratique du Congo : Enjeux et défis contemporains » par Charles Mushizi (2022)
Charles Mushizi, juriste et expert en droit de la presse, explore les mécanismes de régulation des médias en RDC. Il met en évidence les rôles et limites des institutions telles que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) et examine les enjeux de la régulation à l’ère numérique. - « Droit congolais de la régulation des médias » par Trésor Likonza (2024)
Ce livre offre une analyse détaillée de l’évolution du paysage médiatique en RDC, en se concentrant sur les aspects juridiques de la régulation des médias. Il examine les lois en vigueur et propose des perspectives pour une meilleure gouvernance médiatique. - « Cadre légal des médias en RDC : Acquis et défis en perspective » par Patient Ligodi (2024)
Cet ouvrage analyse l’Ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023, qui redéfinit le paysage médiatique congolais. Il met en lumière les avancées législatives et les défis persistants pour la liberté de la presse en RDC.